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Page:Renee Dunan La Culotte en jersey de soie 1923.djvu/121

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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

me vois, la bouche serrée, blême et droite, avec des yeux qui me mangent toute la figure…

Ils sont là, les trois soldats, à admirer leur capture. Aucun doute ne leur vient sur la légitimité de cette prise. Ils sont dans la vie de petits rapaces ingénus et féroces, ils se fussent prosternés pour que chez moi je pusse leur marcher sur le corps. Mais ici je leur appartiens. D’ailleurs, je lis sur leurs faces qu’ils me tueraient très simplement sans souci ni remords. La certitude de l’impunité est une donnée de valeur incertaine, mais, si absurde qu’elle soit, lorsqu’elle s’impose à une raison sans surface, elle a toutes les vertus d’une foi religieuse et comporte de tragiques conséquences.

Nulle morale, nulle inhibition sociale ne peuvent donc lutter contre le désir de l’acte répréhensible si celui-ci, en sus d’une impunité d’autant plus patente pour eux que les esprits sont plus médiocres, offre des joies immédiates qui tendent tous les instincts. Je voyais tout cela. Ces hommes n’étaient pas méchants dans le cours de la vie, mais seulement ancrés en ce moment même dans la conviction qu’ici ils étaient les maîtres de moi comme les baïonnettes qui leur battaient les mollets. Aucune peur ne les hantait parce qu’en ce quartier perdu et misérable ils se jugeaient hors la loi et ses enquêtes.

Il n’y avait pas le plus petit espoir de les apitoyer ou de les dominer par des mots. Me savoir une fille de bourgeois redoutés n’eut fait que rehausser leur désir en mettant au jour cru leur conviction qu’il y a des coins en ces lieux d’où les morts ne sortent jamais. J’avais lu dans des études sur la Commune de 1871 des détails sur cette découverte dont jamais personne ne trouva la clef : dans les substructions de l’Église Saint-Laurent, un caveau avec des squelettes de corps jetés depuis