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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Ah ! cette minute… Je me sens entraînée aussi. Je lutte des jambes, couchée sur le flanc et je sens le petit corps entre mes bras. Je… Je coule aussi…

Il me faut lâcher tout. Je me ramène en boule et d’une secousse je remonte. Lucienne n’a pas coulé. C’est elle qui pèse sur mes efforts. Je la saisis par les reins puis l’abandonne à nouveau… Je ne veux pas, elle ne mourra pas ici, ou bien moi aussi… Je la reprends d’une seule main par l’aisselle. Je lève de toute ma volonté et je bats le liquide tenace qui semble entraver mes gestes.

Je la tiens. La tête arrive près de la mienne et les yeux sont ouverts.

Je crie :

— Lucienne !

Il me semble que ce cri me déchire toute.

Je vois quelque chose sur les lèvres, une ondulation…

— Lucienne ! abandonne toi ! Je te sauverai…

Je lutte désespérément et tourbillonne sur place. Parfois ma tête plonge et je me sens attirée dans la rivière par une sorte d’aimant irrésistible. Mais sa tête à elle, je la tiens à l’air.

Il me faut gagner la rive. Huit mètres peut-être, il faut…

Je tourne autour du corps qui m’est abandonné. Me voici face à la berge, et, de ma force ramassée je m’appuie sur l’eau…

J’ai passé là deux minutes qui sont les plus longues de ma vie. Pour maintenir Lucienne je trébuche, peut-on dire, et passe trop souvent sous le niveau qui sépare pour nous la vie de la mort. Ma respirations chope à ces oscillations. Le souffle court, tendant mes jambes comme des ressorts, chassent cette masse qui se dérobe sous moi et qui m’enlise ; je gagne lentement la rive.