Page:Renee Dunan La Culotte en jersey de soie 1923.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Je traversai ensuite le faubourg Montmartre. Une vie frénétique y régnait dans un tohu-bohu de lumières. Les voitures passaient, aussi pressées que de jour. Des femmes exerçaient leur métier avec insolence.

Deux d’entre elles me virent et en appelèrent d’autres, puis me jetèrent leurs sarcasmes :

« Quelle honte ! On n’est même plus chez nous ici. Voilà des radeuses de la Villette qui viennent faire le truc dans notre coin. Si on te revoit, souris, on va te faire ton affaire ! Attends, que Charlot te groupe, et qu’est-ce qu’on te mettra… »

À mesure que je m’éloignais, ces gentillesses fondaient dans le tumulte nocturne. Mais je ne doutais pas qu’elles ne fussent dites durant un bon quart heure à mon seul souvenir. Je me sentais irritée et douloureuse. Ainsi, il est impossible à cette heure de trouver un cœur compatissant et, seulement, une personne qui comprenne… Ces prostituées qui devaient connaître les ironies de la vie me jugeaient avec des idées de petite bourgeoise provinciale.

Chaque nuit, pourtant, il se dépensait plusieurs millions dans ces mastroquets, ces hôtels à femmes, ces boîtes de nuit, ces réceptacles du vice parisien. Et, comme moi, sans doute, des malheureuses chaque nuit pleuraient d’insomnie et de faim.

Soudain, je levai la tête au ciel. Une large goutte d’eau venait de m’éclabousser la figure. La pluie ? Cette fois qu’allais-je devenir ?…

C’était bien la pluie. Elle commençait à tomber doucement. Je me hâtai.

La rue de Provence ne m’offrait aucun refuge. Mais je me souviens que sur le boulevard Haussmann, au coin de la rue du Helder, à deux pas, il y avait une vaste marquise. Je pris la rue Tait-