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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

gligentes, grâce auxquelles certains arrivent à s’attacher les étrangers les plus méfiants, tout ça me fut constamment impossible. Il faut, pour savoir s’entretenir avec le peuple ancillaire, beaucoup le mépriser, et je ne le méprise pas, avoir une idée très haute de soi-même ; or, je n’ai aucune vanité, enfin savoir ne rien dire en beaucoup de mots et entendre des paroles vides sans étonnement ni attention. Je n’ai encore pas cette vertu. Quant à s’intéresser réellement aux actes et à la vie de personnages incolores et amorphes dont le destin repose sur la mécanisation totale, sur l’habitude devenue l’existence même, cela, je ne le puis. Au demeurant j’ai connu beaucoup de types qui s’affirmaient amis et frères de ce prolétariat domestique. J’ai constaté qu’ils pensaient au fond comme moi, mais ne l’avouaient point. Au contraire, ils étalaient une sympathie loquace et obscure à l’égard de travaux et de destinées fort inconnus. La traditionnelle hypocrisie des gens de service n’aurait non plus voulu leur révéler ses secrets.

Sitôt le dîner fini, je montai à ma chambre. Tandis que je lisais des vers désespérément stupide de départ. Je la lus pour m’endormir car elle était soporifique. Elle l’est toujours, c’est « Universus ». Tandis que je lisais des vers désespérément stupides du poète Baptiston Proule — il a su faire son chemin, malgré sa sottise parfaite et son manque quasi idéal de talent[ws 1] — il me sembla que l’on passait dans le couloir menant à ma chambre. Les lames de parquet criaient un peu. Celle qui occupait juste le dessous de ma porte eut à certain moment un gémissement humain. Je ne suis pas peureuse et j’avais bouclé avec soin. Il y avait deux petits verrous en sus de la serrure. Je ne craignais donc rien. Il ne vivait là que la cuisinière et le cocher, gens que je me plaisais à juger de tout repos. Évidemment, dans cette vaste bâ-

  1. Note de wikisource ce fragment de texte est différent dans la version antérieure du texte sans scan : le fragment « Tandis que je lisais des vers désespérément stupide de départ. Je la lus pour m’endormir car elle était soporifique. Elle l’est toujours, c’est « Universus ». » était absent du texte sans scan, qui se réduisait à : « Tandis que je lisais des vers désespérément stupides du poète Baptiston Proule — il a su faire son chemin, malgré sa sottise parfaite et son manque quasi idéal de talent…/… »