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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

et cupide qui commençait à m’agacer. Je lui parlais peu. La porte cochère s’ouvrit et nous voilà partis le long des routes.

Les chemins en cette partie de la France sont admirablement entretenus. Enveloppée dans mon manteau fourré, une bouillotte d’eau chaude sous les pieds, calée par des coussins de cuir très souples et portée par des ressorts riches d’élasticité, je n’étais pas mal. Je m’adonnai à la contemplation du paysage.

Je n’ai jamais goûté autant qu’alors la poésie lumineuse de cette terre faite comme un tableau de primitif. Ma situation, à deux mètres du sol, accusait admirablement les reliefs des plans et rendait visible la dégradation des lointains. En auto on est trop bas. Au sommet des roues démesurées de ce véhicule sans grâce, je regardais les courbes élégantes des routes et chemins décrire leurs arabesques lentes. Le quadrillage harmonieux des champs et des cultures enlevait à l’œil cette sensation de vastitude morte que donnent les paysages unis. Des maisons semblaient posées ça et là comme des motifs de décoration. La terre avait des nuances innombrables dans les roussâtres et les gris jaunis. Cette campagne de France est belle avec une délicatesse, une richesse d’inspirations spirituelles, un charme si doux et attendrissant qu’on a peine, lorsqu’on veut y ramener sa pensée. à concevoir en son rapport l’âme des habitants de ces perspectives élégantes comme une signature persane. Est-il possible que ce sol poétique enfante des cœurs si durs et si violents, des passions si farouches et criminelles ? Et pourtant cela est. D’ailleurs je ne tardai pas à voir de près quelques habitants du terroir.

Au bout d’une demi-heure de somnolence au pas rythmé du cheval sur ce sol roulant : le cocher