J’eus le courage de dire :
— Vous savez, Madame, le jeune homme avec qui vous étiez ici me fait un peu peur ?
— Vous avez bien raison, mon enfant. C’est une gouape hors ligne. Mais il ne vient jamais chez moi. Je le vois dehors…
Elle ajouta :
— Vous comprendrez, à mon âge, qu’on se passe quelques goûts amoureux… les derniers…
Elle se leva. Avant de la suivre, je posai une dernière question :
— Madame, qui donc faisait, avant moi, chez vous le travail que vous voulez me donner ?
Elle eut l’air d’évoquer un souvenir curieux et pénible.
— Ma petite, vous y connaissez-vous en littérature ?
Je répondis :
— Oui, Madame, chez mes parents on recevait tout ce qui paraît de livres et de revues littéraires.
— Alors vous êtes bien plus ferrée que moi ; car j’ignore tout cela. Eh bien ! avez-vous entendu parler de Jean le Jove ?
— Certainement ! Madame, c’est le romancier qui vient d’avoir le Grand Prix de Littérature Européenne.
— Mon petit, Jean le Jove était mon secrétaire. C’est lui qui, depuis quatre ans, rédigeait mes brochures de propagande et répondait aux lettres. Depuis qu’il a eu le… truc dont vous parlez, il m’a plaquée.
— Mais, Madame, cela s’explique. Songez que le Prix était de douze mille francs et que son livre dut lui en rapporter quatre fois autant…
Tsarskaia eut un sourire triste…
— Vous ne pouvez pas le savoir, petite fille. Le livre, qui a eu le prix machin dont vous parlez,