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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

sympathiques semblables nés du même sol que lui. Dans l’Île Australe il avait par moments la vive conscience d’être un déraciné, un étranger, à qui la Terre, adverse, refusait l’accueil ; car elle se défendait, elle aussi, par ses marais, ses miasmes et ses fièvres, contre l’Invasion des Occidentaux. Puis, à d’autres instants, il la trouvait maternelle presque pour les hommes de sa race, charmeresse par ses parfums et ses femmes, apaisante par la lumière de ses jours et l’édénique fraîcheur de ses nuits, par son perpétuel été et la douceur de ses peuples-enfants…

Un long silence. Les deux amis, les yeux emplis de l’harmonie du paysage, se sentaient repris par la joie de vivre imérinienne. La magie des formes, des couleurs et des parfums faisait oublier à Claude les images ancestrales de l’Europe, et taire dans son cœur l’appel des voix méditerranéennes.

Il parla sa pensée intérieure.

— Ma volonté, dont j’étais fier jadis, est devenue faible ici comme celle d’un enfant. Mon énergie s’est énervée dans la molle tiédeur des jours et dans l’éternelle volupté des nuits. La terre imérinienne est comme une femme folle de parfums, qui s’endort parmi les fleurs, avec des rêves fiévreux.

— J’ai souvent éprouvé ce que vous dites, reprit Berlier. Tout s’atténue ici en vertu de je ne sais quelle langueur mystérieuse : la force des muscles, l’énergie des caractères. Les indigènes répugnent à l’effort, à la lutte, à la guerre.