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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

vend aux Malgaches les livres et opuscules de piété imprimés par les Missionnaires de Londres, et devant l’assommoir du Grec Melacrinidès, débitant d’absinthe de traite et de rhum de la Réunion. Les deux boutiques sont également achalandées, le plus souvent par les mêmes clients.

— Quel symbole, pensa Claude, que le rapprochement de ces deux maisons ! Ici on vend les derniers produits des usines d’Europe pour corrompre le corps des indigènes, et là on distribue les tracts réputés les meilleurs pour métamorphoser leur esprit ! Deux articles d’exportation le trois-six français, parfumé d’essences, et le piétisme anglais, coloré d’humanitarisme ! Il n’est permis de réagir ni contre l’une ni contre l’autre influence : le protectionnisme douanier et le traité de Zanzibar nous l’interdisent.

Saldagne, catholique de naissance, avait une secrète antipathie pour les prédicants anglais. Il se rappela les belles colères de Berlier, lorsqu’on touchait à ces questions. Dans leur groupe, on était là-dessus très divisé. Cosquant, bon chrétien, estimait que les Jésuites exerçaient une excellente influence sur les Malgaches. Desroches, indifférent, pensait en magistrat que la religion pouvait diminuer dans une certaine mesure les pratiques de la sorcellerie. Jean Romain, comme administrateur, avait à régler cent affaires litigieuses en raison de la guerre inexpiable que poursuivaient entre eux dans l’île protestants et catholiques ; il faisait profession d’athéisme et n’aimait guère les