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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

première sortie dans le monde. Cent femmes de sa race, réunies là, s’étaient parées pour plaire aux hommes, un grand nombre y réussissaient. Claude eut conscience de la supériorité physique de beaucoup d’entre elles sur des Malgaches, au moins pour des yeux d’Européen. La pénurie de femmes blanches expliquait-elle tout simplement la prédilection professée par certains pour les femmes indigènes, aux Colonies ?

L’animation et l’entrain des couples l’étonnaient, et aussi la vivacité des causeries presque bruyantes. Tous ces gens paraissaient s’intéresser à leurs conversations plus qu’aux gestes chorégraphiques machinalement accomplis par eux. C’est que les femmes étaient ici les égales des hommes ou du moins s’efforçaient à l’être. D’ailleurs entre tous et toutes n’y avait-il pas mille correspondances, mille affinités de chair, d’habitudes, d’intelligence, sans compter l’insondable passé commun de cent générations.

Claude, s’évadant par la pensée dans la vie malgache, songeait : tout ce qui était attraction ici devenait discordance là-bas, dans le milieu des femmes jaunes, ou bronzées, ou noires, qui remplacent auprès des coloniaux déracinés les compagnes de leur sang. Il se rappela le bal imérinien de naguère, ce bal étrange et maniéré, où les ramatous dansaient sans parler, avec une feinte indifférence, et il ne reconnut pas, en son propre esprit, les impressions récemment éprouvées, tant la vision d’aujourd’hui avait soudain transposé les valeurs !