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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

sur des pentes et des bandeaux de cretonne rose à fleurs. Au-dessus des tables, les pankas rouges interposent leurs écrans sombres et battent l’air d’un rythme lent. Une terrasse, séparée de l’océan par le boulevard Galliéni, domine la baie de Tamatave, la vaste baie en croissant, terminée par les deux pointes Hastie et Tanio.

L’océan y vient briser mollement ses vagues sur le sable, au pied des rochers noirs qui protègent la digue. Une houle lente et perpétuelle le soulève, comme la respiration mystérieuse de l’abîme. Parfois, quand au large une lame plus forte vient s’abattre sur la ligne des récifs, l’ondulation s’en propage, plus haute, dans la rade, et la voix profonde du ressac chante alors sur les plages la plainte de la mer.

Deux journées à Tamatave, avant l’embarquement, passèrent vite dans l’enchantement des Tropiques. Claude, à grand’peine, s’arrachait de Madagascar ; jamais en France il n’avait senti nostalgie pareille à quitter des pays où il avait vécu. L’Imérina rouge et rocailleuse des Hauts-Plateaux lui laissait plus de regrets que le sol de sa Lorraine. Il la revoyait toute, cette terre étrangère, depuis le seuil de ses grandes montagnes jusqu’à Iarive-la-Joyeuse, et il l’aimait pour le charme de ses soirs, la clarté de ses matins, la grâce de ses femmes, la majesté de ses mélancoliques paysages. Déjà la vision manquait à ses yeux des terres coulant comme du sang coagulé hors des cratères d’érosion, des crevasses et des fissures saignant au flanc des montagnes, des lambeaux de pourpre sombre