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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

dernière fois, dans toute sa splendeur, le mirage austral.

Le petit canot qui l’emportait, s’éloignait comme à regret de la côte. En face, à moins de cent mètres, une femme Bétsimisârak était assise sur le parapet de la digue : sur ses jambes grêles le vent plaquait une jupe verte, et elle ramenait frileusement sur ses épaules un lamba blanc il grands dessins rouges ; sous le ciel gris et terne elle apparaissait aussi ridicule qu’un Européen, en jaquette et chapeau melon, sur une plage inondée de soleil, au pied des cocotiers. De telles dissonances étaient pour Claude le symbole attristant de la relativité du bonheur. Brume ici, soleil là-bas, que lui réservait le lendemain ?

Le « Natal » leva l’ancre à cinq heures, et la Nature, une fois encore, se plut à changer l’illusion des choses. La mer, à l’Est, restait embrumée, couverte d’un voile de brouillard ; mais, du côté de la terre, le ciel se découvrit, devint bleu ; l’océan indigo mourait en ondulations molles, au pied des enrochements, sur la plage de sable pleine de débris de coraux.

Claude, après avoir surveillé l’installation des bagages dans sa cabine, s’accouda, pour l’appareillage, à l’arrière du paquebot. Les chaloupes à vapeur et les canots du port s’éloignaient, regagnant la côte. Non loin du « Natal », la « Ville-d’Alger » et le « Zanzibar » se balançaient lentement au gré de la houle, qui découvrait et immergeait tour à tour les carènes rouillées. Près du navire, la mer était parsemée de débris, planches, caisses vides, corbeilles,