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Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/75

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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

quand il fut ramené à la réalité par un incident banal. En se penchant soudain pour suivre de l’œil, à un tournant, les sinuosités du cours de la rivière, il avait compromis l’équilibre de la pirogue ; celle-ci, à la suite d’un faux coup de godille, s’était mise en travers du courant et, échouée par l’arrière, embarquait un peu d’eau. Le piroguier, d’un vigoureux effort, la dégagea.

— Oh ! Raclaude, comme tu m’as fait peur, dit Zane. Si tu remues ainsi, nous tomberons tous dans l’Ikioupe et nous mourrons comme ma grand mère. Elle allait en pirogue célébrer des funérailles dans notre village ; les jeunes garçons s’amusaient à s’agiter et faisaient toutes sortes de contorsions pour effrayer les femmes ; mais la pirogue se retourna sens dessus dessous. Tout le monde tomba dans l’eau, ma pauvre grand’mère gagna une pneumonie qui l’emporta en deux jours. Ainsi ce fut elle qui, au lieu d’assister à des funérailles, entra dans le tombeau avant l’heure fixée ! »

Zane pensait, non sans terreur, que l’accident avait eu lieu peut-être au même endroit. Qui sait si l’Esprit de l’aïeule, devenu un loule des Eaux, ne s’accrochait pas à leur bateau pour le faire chavirer ? Avec une ferveur attentive, l’enfant superstitieuse se rappela le vœu fait la veille ; combien elle avait eu raison de promettre un suaire neuf en soie rouge pour le jour du Retournement-des-Morts ! Elle se résolut mentalement à augmenter la valeur de l’offrande, à y consacrer vingt piastres au lieu de quinze. Claude la plaisantait sur sa peur : elle