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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

presque oubliée. Mais, entre les digues stériles et farouches de l’Ikioupe, dans la lumière crue de l’ardent matin austral, l’image fugitive s’effaça. Elle n’était que le fantôme d’un doux soir de Paris, le rêve d’un de ces tendres crépuscules où s’éternise le jour, au bord des horizons de France.

À cette minute l’Européen sentit d’où venait le pouvoir de la femme exotique, qu’elle s’imposait à lui non par sa frêle personne ou sa terne individualité, mais par le milieu complice et le cadre ancestral des paysages imériniens. Nos cerveaux sont influencés plus encore que nous ne le croyons, par les visions de nos yeux : les regards de Saldagne se reportèrent sur la fille de l’Île rouge, et il comprit les liens qui l’attachaient à cette chair malgache, en harmonie vivante avec la terre : la peau dorée rayonnait les tons chauds des collines voisines, les yeux reflétaient le mystère des eaux de l’Ikioupe ; Zane contemplait sans nul étonnement les digues énormes, protectrices de la plaine, qu’elle était accoutumée de voir dès sa petite enfance, quand elle venait à Tananarive dans les pirogues chargées de manioc ou de bananes ; les mêmes rizières jaunissantes avaient nourri les générations de ses ancêtres et entretiendraient la vie des descendants sortis d’elle. Tous les noms des êtres et des choses sonnaient familièrement à son oreille. Alanguie dans la pirogue, comme au pied des montagnes les molles ondulations des collines rouges, frileuse comme l’heure matinale dans la fraîcheur du