Page:Renouvier - Uchronie, deuxième édition, 1901.djvu/21

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l’illusion d’imaginer que la chose même qui arrive pourrait n’arriver pas comme elle arrive. Des penseurs encore plus hardis, formant de faits et d’hypothèses déguisées la chaîne et la trame entières de l’histoire, et lisant dans le passé l’avenir, ont fixé le sort de l’humanité future. Par malheur, ces grands écrivains, ces illustres professeurs et ces constructeurs du destin, que nous avons applaudis dans la naïveté de notre jeunesse, ces hommes à l’esprit démesurément ouvert, savaient on ne peut mieux pourquoi chaque événement était ce qu’il avait dû être, y compris l’événement d’hier ; mais ils ne savaient pas pourquoi, et comment et quel serait, même en gros, celui de demain. Cette inexplicable lacune de leur méthode de prévision les a mis dans la triste alternative de se prosterner devant le présent, qui fut pour eux l’objet d’une négation ou d’une improbation anticipée quand il était futur ; ou de condamner des faits actuels, inévitables suivant eux, dont ils sont obligés de présenter la justification sitôt qu’ils les trouvent inscrits dans le passé. Chacun sait comment de fâcheux déboires éprouvés par cette philosophie de l’histoire ont ruiné le crédit de nos professeurs et faux prophètes, avant même que nous fussions plongés dans les derniers malheurs où leur science tâche vainement de se reconnaître.

Toutefois l’esprit du fatalisme historique est vaincu,