Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/200

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déesse, a pour ses fidèles adorateurs des récompenses divines, elle tient en réserve des félicités inouïes. Faites-moi mourir, notre association n’en vivra pas moins. Anglais ! vous n’en aurez jamais fini avec les Thugs, ils renaîtront du sang que vous verserez. Tant qu’un Anglais souillera par sa présence la terre bénie de Kâly, la déesse de l’amour et de la mort, il se trouvera un Thug pour rouler autour de son cou le mouchoir sacré. J’ai dit ! Ma bouche ne s’ouvrira plus pour de vaines paroles.

— Vaines, en effet ! Vos menaces, Ressoul, ne sauraient désormais effrayer personne. Le jour de la justice est enfin venu. À ce moment même, un détachement de soldats anglais cerne vos derniers complices réfugiés dans les forêts et dans les pagodes de Goudjeveram.

— Kâly saura punir les traîtres ; quant à moi, je ne crains pas la mort, j’irai au supplice en chantant les louanges de Kâly et en maudissant l’Angleterre !

Mille cris de colère répondirent à ces derniers mots du misérable, mais une voix couvrit aussitôt celle de la foule :

— Un riche citoyen anglais, disait-elle, serait heureux d’adopter l’enfant de Gilbert.

— Je remercie l’honorable gentleman qui vient de prendre la parole pour une offre généreuse, dit lord William Bentick, lorsque le silence se fut rétabli, mais Willy est le fils d’un serviteur qui me fut longtemps dévoué ; il sera élevé dans ma maison.

Des bravos enthousiastes saluent cette déclaration, et de toutes parts éclatent les cris de : Vive lord Bentick ! vive le magnanime soutient de la puissance anglaise !

C’est qu’il n’était pas un des assistants qui ne rendît justice aux qualités du noble lord, qui n’admirât ses efforts, sa persévérance et son habileté.

Lord William Bentick, très-ému de cette flatteuse démonstration, salua la foule et fit un signe à sir Georges Monby, qui reprit la parole en disant :

— La lassitude de MM. les juges me fait un devoir de suspendre cette longue séance. Ce soir, à neuf heures, nous reprendrons les débats par l’interrogatoire de cet Anglais, indigne de ce nom, qui n’a pas craint de se déshonorer en s’associant aux forfaits des Thugs. Du reste, MM. les juges sont prévenus que le procès touche à sa fin, et qu’il ne donnera plus guère que quatre ou cinq audiences.

La foule se retira vivement impressionnée, et presque aussitôt on entendit au dehors comme un bruit de bataille.

Vingt gentlemen au moins se disputaient l’honneur d’offrir à dîner à Bob Lantern, qu’on emportait en triomphe.

Le brave Irlandais se laissait faire assez volontiers, convaincu du reste que cette ovation populaire lui était bien due.