Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/232

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Comme tous les créoles, Gilbert était excellent cavalier et adorait la mer. Éva ne pouvait donc avoir un compagnon qui partageât mieux ses goûts. Bientôt ce ne fut plus pour eux que courses folles à travers le pays, excursions, au large par tous les temps, au milieu des écueils, pendant que Blanche, adorée des bonnes gens de Plouenec, jouait sur le sable du rivage ou sous les sapins, surveillée par Jeanne et par Pierre.

Mais de cette existence active, fiévreuse, dévorante qui faisait courir plus ardent et plus généreux le sang dans leurs veines, il résulta peu à peu une modification tout à la fois physiologique et psychologique dans les sentiments qui unissaient Éva et Gilbert.

Né dans la douleur et les larmes ; fait, chez l’un, de protection accordée, de sensations toutes morales, de dévouement chevaleresque, d’admiration d’artiste pour le beau ; fait, chez l’autre, de reconnaissance, de besoin d’avoir un cœur auquel donner son cœur, d’enthousiasme pour la noblesse de l’âme, leur amour avait toujours vécu un peu d’idéal. Or, soudain, descendant du cerveau, quittant les sphères où l’autre de Platon demeure esclave, cet amour jusque-là si complet, mais si calme, devenait une de ces passions folles, aveugles, dont les ivresses entraînent à leur suite, fatalement, les angoisses qui tuent.

Ils s’en doutaient aussi peu l’un que l’autre, se laissant vivre au gré de leur fantaisie, heureux et forts, aspirant à pleins poumons les effluves salins et à pleines lèvres les baisers.