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LA PETITE LAITIÈRE

Suzette sachant le secret de la porte d’entrée, et ils allèrent chez la bonne femme, que la laitière avait instruite le matin du bonheur de sa fille.

— Ah mon Dieu ! mon enfant ! vous voilà ! et où allez-vous à l’heure qu’il est avec ce joli monsieur-là ? Ah ! ma bopne dame ! le monde est bien trompeur ! — Je m’en suis doutée, sur ce que votre mère m’a dit ce matin… Et ce monsieur, qui est-il ? — Je vous dirai ça, madame : allez, ça vous étonnera bien ! mais, pour le moment, monsieur ne se soucierait pas que je vous parle de lui… Aurez-vous bien la bonté, madame Lanternier, de permeitre que j’attende ici ma mère jusqu’à demain ? Oui, ma chère enfant, volontiers ! ça me faisait déjà de la peine de ce que vous vous en alliez avec un grand jeune homme : mais dès que vous voulez attendre ici votre mère, je n’ai plus rien à dire. Allons, vous coucherez avec moi, et monsieur, dans ce petit lit, qu’occupe mon fils, quand il vient en semestre. Il est sergent, dà ! et il s’est distingué. Avez-vous soupé ? — Mon Dieu, oui, madame Lanternier ! et très bien. — Allons, mon enfant, ça étant, couchons-nous ; car il se fait tard.

Il faut ici faire le portrait de la vieille. Elle avait une robe de laine, couleur de tabac ; un mantelet d’étamine ; une coiffe de taffetas, fort passée, couvrait sa tête à peu près comme les calottes des vieillards de comédie ; sa chaussure ressemblait assez à des sandales ; et quoiqu’elle ne fût pas pauvre, dans toute la rigueur du mot, elle avait l’air misérable. Enfin, elle avait une de ces figures hommasses, ridées, quasi barbues, qui marquent l’absence de toutes les grâces du second sexe.

On se disposait à se mettre au lit : de Neuilli regardait stupidement les deux femmes se déshabiller. On n’y faisait d’abord aucune attention ; mais enfin la vieille jeta les yeux sur lui. — Couchez-vous donc, monsieur, et ne nous regardez pas comme ça ! On dirait que vous n’avez jamais vu personne se coucher ! Suzon se mit à rire. Pour de Neuilli, sans être honteux,