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LA FILLE DU SAVETIER DU COIN

fis en sorte de parvenir jusqu’au maître : « Mon seigneur, pardonnez la liberté que je prends de me présenter devant vous ; mais je suis le savetier d’à côté de votre hôtel, et par conséquent j’ai l’honneur d’être votre voisin ; et qui a bon voisin, a bon matin, comme on dit : ainsi donc, Monseigneur, c’est pour rendre service à mon prochain que vous me voyez prendre tant de liberté. Votre bon domestique, M. Grandchamp, est accusé, je crois, à faux ; il y a, sauf votre respect, du louche dans cette affaire-là ; et peut-être est-il, Monseigneur, que vous pourriez découvrir la vérité ? — Surpris de me voir et de m’entendre, car j’avais demandé avec instance à lui parler seul à seul, le seigneur me dit comment je savais ça ? Je lui contai ce que m’avait dit la jeune fille, et ce que j’avais fait, le priant de me garantir des deux méchants domestiques. — Oui, oui, — me dit-il tout joyeux. Et il me mena auprès de son fidèle domes tique, qu’il trouva mourant et au désespoir, lequel supplia son maître de faire venir devant lui ses faux accusateurs : ils furent aussitôt appelés, et Grandchamp les confondit aisément, parce qu’ils se crurent découverts. Le seigneur fut si transporté de joie d’avoir reconnu l’innocence de son bon domestique, qu’il me donna une bourse pleine d’or, et me fit une pension. Il m’a depuis protégé jusqu’à sa mort, en plaçant mes fonds avec les siens et ceux de son bon domestique, sur des vaisseaux qui ont réussi ; ce qui a produit la petite fortune que vous me voyez. »

Ce récit naif et sincère fit beaucoup de plaisir à l’avocat ; jusqu’à ce moment, il n’avait pas trop conçu comment un savetier était devenu si riche par des moyens légitimes : la confidence de son futur beau père le tranquillisa. Le mariage se fit dix jours après ; la charge fut payée ; De Billi exerça l’importante fonc tion à laquelle le président l’avait destiné ; les bonnes gens allèrent dans leur bien de Vermanton, où ils vivent honorablement, et la modeste Adélaïde est la meilleure des épouses.