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LA DERNIÈRE AVENTURE

Oui, il bat !… Touche le mien. — Il me parait ému ! — Ah ! c’est qu’il a… — Qu’a-t-il, ma divine Sara ? — De l’amour. » Quel mot ! lorsqu’une fille de dix-neuf ans l’adresse à un homme de quarante-cinq ! « Ma chère Sara, lui répondis-je, ce n’est pas de l’amour que je te demande, mais une sincère et constante amitié. — Et si j’ai de l’amour ? — Il cesserait trop tôt ! Donne-moi ton amitié, ta confiance… » Mes actions démentaient mes paroles, car c’était en amant que j’agissais ! Le cœur humain est inconcevable !… « Ma chère Sara, continuai-je, veux-tu connaître quels étaient mes sentiments pour toi, il y a un an, deux ans ? — Oui. j’en serai ravie. — Eh bien, tu vas voir, dans cette historiette, que j’ai envoyée à l’auteur des Contemporaines[1], comme je te considérais. En voyant chez vous du Châtaignier, je me figurais que j’étais à sa place, que c’était moi qui t’aimais ; j’exprimai les sentiments que tu m’avais inspirés, sous le nom de Chevilly ; je te nommai Adeline. Ces tendres sentiments que je prête à l’amant, je les avais ; cette adoration qu’il marque, je désirais de te la marquer ; ces dates de l’Île Saint-Louis, je les fais à présent ; on y voit partout Ad. ad. (Adeline adorée.) Lisons ensemble cette histoire, mon adorable Sara ; sois mon Adeline ; tu me rends, dès cet instant, aussi heureux que le fut de Chevilly.

Nous lûmes l’historiette qui l’attendrit aux larmes. La voyant si sensible et voulant lui montrer comme je savais aimer, je lui fis l’histoire de mon attachement pour Zéphire, cette fille généreuse que j’avais si tendrement aimée[2]. Je vis couler des yeux de Sara les plus belles larmes que j’eusse vues de ma vie. Je pleurai avec elle… « Quoi ! c’est ainsi que vous pensiez pour moi, avant que de me parler ? — Oui, ma chère Sara. — Et vous ne me disiez rien quand vous me voyiez ? — Bien des raisons m’en empêchaient : mon âge, le vôtre, mes chagrins, votre mère… — Tes chagrins ! Ah ! je les aurais adoucis ! —

  1. C’est la cinquantième Nouvelle des Contemporaines.
    (R.)
  2. Voyez dans le Paysan perverti, t. III, pp. 77 et suiv.
    (R.)