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D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

retournerait plus chez sa maîtresse. Elle en parut dans le ravissement, elle qui ne pouvait auparavant rester deux jours de suite chez sa mère. Lorsqu’elle monta chez moi, elle me fit ses tendres remerciements. « Je te verrai donc tous les jours, ma chère fille, lui dis-je en la pressant dans mes bras ! Ah ! je serai heureux puisque mon bonheur est l’effet de ta seule présence ! Ma Sara ! Fille aimable ! Fille adorée de ton tendre père ! Qui pourrait croire que pendant cinq ans j’étais auprès d’un trésor semblable à toi, sans songer à m’en saisir !… Je cherchais le bonheur et il était à ma porte !… Mais je le tiens et il ne m’échappera plus ! » Nous descendîmes ensemble. Après le souper, la mère nous laissa quelques instants seuls. « A demain, papa, me dit ma jeune amie, nous causerons beaucoup plus amplement. »

Le dimanche était le 29 janvier… Puis-je dire que ce fut un jour heureux !… Sara vint me voir à midi. Je l’attendais avec impatience et deux fois dans la matinée j’étais entré chez elle, en disant que j’avais des livres à lui donner mais que je ne voulais pas les lui descendre. J’étais alors à peu près instruit des assauts que cette jeune personne avait essuyés ; je ne doutais pas qu’il n’y eût longtemps qu’elle avait perdu cette fleur précieuse, qui ne renaît jamais. Ma délicatesse en souffrait, mais les désirs y gagnèrent une inconcevable vivacité. Je résolus de fonder sa vertu présente, bien déterminé ou à m’arrêter, si elle était réelle, ou à l’attacher à moi par le plaisir, si elle en avait le goût. Car j’étais décidé à lui abandonner mon cœur, quelle qu’elle eût été. C’était un parti pris. Ne vous irritez pas contre moi, honnête et prudent lecteur, je l’ai payé assez cher pour ne devoir intéresser que votre pitié !

Sara se fit enfin entendre à ma porte par une petite toux. Comme tout intéresse dans l’objet qui nous a charmés ! Je tressaille encore lorsque je crois en entendre une semblable ! Je courus ouvrir. Qu’elle était belle ! que d’attraits ! que de fraîcheur ! quel goût dans sa parure négligée ! Les Grâces avaient arrangé ses beaux cheveux ; la volupté, son fichu, son corset, ses jupes, sa chaussure ; elle excitait jusqu’à l’aimable sourire qui se traça sur