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LA DERNIÈRE AVENTURE

quoique la raison combattit en moi ces mouvements désordonnés, la raison ne fut pas la plus forte, mes caresses devinrent plus libres ; Sara, plus habituée à moi se défendit moins. Peut-être sentit-elle obscurément le désavantage que lui donnait la lettre qu’elle venait de me faire lire… Peu à peu je me plongeai dans l’égarement d’une passion, toujours extrême, dès qu’on a commencé de s’y livrer… Enflammé par ce que j’osais, par ce qu’on me permettait, par ce qu’on me donnait, je parvins bientôt à ce point fatal où l’on ne saurait plus commander à ses désirs parce qu’on les a trop excités pour que la raison puisse en rester maîtresse… Dans cette situation, un contretemps heureux m’eût sauvé !… Il n’arriva pas… J’osai exprimer ce que je brûlais d’obtenir… Le silence me parut un aveu.

Voilà donc ce protecteur, ce guide, ce défenseur, cet homme qui devait diriger sa jeune amie ! Il veut, il arrache lui-même ce qui lui a fait horreur ! Le voilà complice de la plus méprisable des mères… (Hélas ! Il en est puni, mais qui punira cette infâme corruptrice ! … Qui la punira ! Le mépris, la haine de sa propre fille ; l’horreur, l’effroi qu’elle lui inspire et qu’elle a fait passer dans mon cœur, dans le cœur de tous ceux à qui cette fille a marqué de la confiance ; dans celui de tout le voisinage qui connaît sa conduite ! Un mépris universel, ô Dieu ! Comment cette malheureuse peut-elle le supporter !)

Devenu heureux et coupable, mais sans perdre la qualité d’honnête homme, je jurai de nouveau à Sara, d’après les sentiments de mon cœur, un éternel attachement. Oui, je sentis pour cette fille une tendresse inexprimable, je sentis qu’elle était ma femme, selon les lois de la nature ; après sa complaisance et mon bonheur, je me regardai comme ne faisant plus qu’un avec elle. « C’est à présent que tout nous est commun, lui dis-je, ma chère Sara, les sentiments et les biens. Sois ma compagne chérie, conserve-moi à jamais la confiance dont tu m’as honoré. Ce que tu viens de m’accorder est un lien indissoluble pour moi, qu’il le soit aussi pour toi, ma charmante fille ! — Il le sera, mon bon ami, et tu verras combien mes sentiments sont