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LA DERNIÈRE AVENTURE

toutes les femmes. M. de Blémont fut d’abord interdit. Mais bientôt honteux de sa timidité avec une enfant, il reprit ses avantages, et poussa même les choses plus loin que la première fois. Élise rompit brusquement le tête-à-tête, et revint auprès de sa mère, avec laquelle causait Parlis. Son air animé, la sévérité qu’exprimait son regard, quelques mots entrecoupés mirent au fait l’ami de M. de Blemont. Il comprit que ce dernier, loin de s’être corrigé, avait redoublé ses offenses. Il fit en sorte de se procurer avec lui, sans affectation, un entretien particulier.

« Votre belle voisine a le cœur dur et froid, lui dit M. de Blémont. — Sur quoi le jugez-vous ? — Sur la manière dont elle répond à ma tendresse. — À vos désirs peut-être ? — C’est la même chose. — Au Maroc, sans contredit, mais à Paris, non. — Mon cher, je connais un peu mieux les femmes que vous : la lettre que vous m’avez écrite ne contient à ce sujet que des choses vagues. — J’en suis fâché ; je croyais m’y être exprimé clairement et fortement. — Laissez-moi conduire cette affaire ; peut-être paraitrai-je aller moins droit au but qu’un doucereux ; mais les succès que j’obtiendrai seront plus solides. Je me souviens qu’à trente-quatre ans, je fus aimé d’une femme… — À trente-quatre ans, je le crois ; mais à cinquante-cinq, il y faut un peu plus de précautions ; les petits-maîtres échouent, à notre âge, où l’homme sensé réussit. Dans la jeunesse, il arrive au contraire, qu’assez souvent le sage garçon échoue, où le petit maître a du succès ; mais ce n’est jamais qu’auprès des folles. J’ai été jeune comme un autre. J’ai, comme un autre, eu le choix des moyens ; j’avais un mérite personnel, capable de séduire, et qui souvent a eu cet effet ; mais loin de m’en targuer, je n’ai jamais voulu employer que la tendresse avec la femme la moins estimable, et que je ne pouvais respecter, je me respectais moi-même, et je n’avilissais pas la compagne de mes plaisirs : je voulais qu’elle fût reine où elle doit l’être ; je la traitais, non en esclave qu’on soumet à sa passion, mais en souveraine, qui me dispensait le bonheur et la suprême volupté. J’ai toujours ainsi eu le secret de trouver des délices, où d’autres ne rencontraient