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LES DEUX CINQUANTENAIRES

que du dégoût. Si j’avais été assez malheureux, pour aller chez, une prostituée, j’aurais voulu l’élever jusqu’à moi, au lieu de descendre, jusqu’à elle ; ou je n’aurais pas hasardé une caresse, ou j’aurais voulu que celle à qui je l’aurais faite, m’eût paru disposée à devenir honnête. Tout homme qui dégrade la femme qu’il veut engager à l’écouter, se dégrade lui-même. Celui qui chercherait à corrompre celle dont il prétend faire sa compagne ; qui salirait son imagination, qui lui montrerait de cyniques désirs grassement exprimés, est un homme vil, s’il ne réussit pas ; un infâme corrupteur, s’il parvient à son but. — Voilà de bien grands mots ! voilà des expressions bien fortes, répondit M. de Blémont, pour deux ou trois gaudrioles hasardées avec une fille, que je croyais assez innocente pour ne pas les entendre ! Mais j’en rabats ! Elle a l’oreille alerte ! la conception très prompte, et cela ne s’accorde pas merveilleusement avec une innocence inattaquée ! Il me faut une épreuve rigoureuse, pour revenir sur son compte. Elle ma plu ; elle est charmante ; mais je la crois plus intéressée, que disposée à devenir sensible. Il y aurait eu mille choses à répondre à ce discours ; mais l’amitié ferma la bouche à Parlis. Cependant, lorsqu’il fut seul, il mit ses réflexions par écrit.

M. de Blémont trouve que je dis de grands mots, il aurait dû dire de grandes vérités. Il est vrai que mes expressions paraissent fortes, mais elles sont encore plus vraies. Des gaudrioles hasardées. Quoi ! monsieur de Blémont, vous hasardez des gaudrioles avec une fille dont vous voulez faire votre amie, votre compagne, la consolation et la douceur de vos jours ? Vous commencez par lui salir l’imagination et par lui dire des polissonneries ! Vous vous disposez donc à vivre avec elle en polisson ; mais ne disputons pas sur de vains mots : Si vous étiez seul avec elle dans le monde, peut-être cela serait-il indifférent dans vos principes, mais si vous, homme de cinquante-cinq ans, vous vous montrez en polisson avec une fille de dix-huit à dix-neuf ans, vous vous fermez un cœur dans lequel on ne peut entrer à notre âge que par deux portes, et peut être que par une seule, l’estime. Parvinssiez-vous à corrompre assez rapidement son cœur, pour la mettre en peu de jours à votre unisson, elle vous mépriserait toujours. Elle se souviendrait du temps où elle n’était pas corrompue et elle dirait en vous regardant : « Voilà