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LES DEUX CINQUANTENAIRES

et de se contenter de le fuir à jamais. Parlis vit alors qu’il n’avait pas su jusqu’à ce moment, apprécier les hommes avec sagacité ; en rentrant dans son cœur pour les connaître, il conçut que le plus grand nombre de ceux que renferment les villes a l’âme rompue sans peut-être s’en douter, il se compara ensuite à tous ceux qu’il avait connus et un sentiments de joie abreuva sa douleur. « Combien je vaux mieux que ces hommes ! s’écria-t-il. O Parlis, qu’un noble orgueil te console de tes malheurs, des maux cruels que tu endures et de ta pauvreté ! Qu’ont-ils tous ceux que tu connais, que tu leur doives envier ? » Cette réflexion consolante lui fit supporter avec résignation un des plus grands malheurs de la vie, la perte de l’estime qu’on avait pour un ami.

Mais le sort d’Elise ne l’en inquiéta que davantage. Il fut obligé de renoncer à l’espoir séduisant de faire son bonheur par les hommes d’un âge mûr ; il sentit que c’était mal à propos qu’il avait jugé, d’après son propre cœur, qu’un homme de quarante-cinq ans doit se trouver trop heureux d’obtenir d’une jeune personne un sentiment de préférence, à quelque titre que ce soit. « Je m’étais donc trompé, pensait-il avec douleur, en me figurant que tous les hommes avaient l’esprit assez juste pour penser qu’ils ne peuvent être heureux que par les femmes ! Cette manière si naturelle, dont tous les êtres vivants donnent un exemple à l’homme, n’est sentie qu’imparfaitement, je le vois, parce que la plupart des hommes attendent des femmes autre chose que ce qu’elles doivent leur donner : les uns, comme de Blémont et Charles XII, ne les considèrent que comme des êtres faits pour donner un plaisir matériel, qui n’affecte que les sens et n’intéresse pas le cœur ; les autres, comme la plupart de nos seigneurs qui ont des filles entretenues, les regardent comme des espèces de singes qui les amusent par leurs malices ; ils les agacent, les excitent à mal faire et rient des disparates les plus choquantes, comme de choses merveilleuses ; ils dénaturent ainsi le cœur et le caractère de ces pauvres créatures ; ils en font des espèces de monstres qui paraissent tels à tout le monde, dès qu’elles ont trente ans. Telles ces jeunes chattes, dont les tours