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LA DERNIÈRE AVENTURE

défendu de sortir de la chambre. J’aimais tant à courir, que je ne pus me contenir. Je vins sur l’avance de la boutique, où je grimpai, ayant l’œil attentif, si elle ne revenait pas. Je crus l’apercevoir de loin, et mon empressement fut si grand, que ne songeant pas que j’étais montée assez haut, je me jetai par terre, et tombai sur quelque chose d’aigu, qui me fit ici (montrant l’endroit) une blessure dangereuse, dont je n’osai parler… Nous étions alors bien dans la misère. Elle ne savait que faire, et je crois qu’elle… (se cachant les yeux) ; car je lui voyais tous les jours amener quelqu’un de nouveau chez nous. On me faisait cacher dans un petit cabinet. Mais ce qui ne me laisse presque pas lieu de douter, c’est qu’un soir elle me prit par la main, en me disant : « — Allons Sara, viens voir si nous ne pourrons pas faire un homme ! »

Ce fut le visage caché dans mon sein que Sara prononça ces paroles. Dans un premier mouvement, je la repoussai ; je me levai, transporté de fureur ; puis me calmant aussitôt, pour passer avec rapidité à un sentiment contraire, je la pris dans mes bras, et je lui dis, en laissant ruisseler mes larmes sur elle :

« Tu n’as plus de mère, ma Sara ; non, cette odieuse femme n’est plus ta mère. Mais je te le jure par Dieu même, tu as un tendre père en moi. » Sara me remercia par un baiser, tel qu’une fille honnête le donne à un tendre père.

« Ce n’est pas tout, mon cher papa. Si vous saviez quels traitements elle m’a fait essuyer ! J’étais durant l’été, par une chaleur extrême, renfermée dans le petit grenier avec du pain et de l’eau, sans pouvoir sortir ni parler à personne ; elle me regardait comme une bête destinée à son avantage particulier, et dont elle prétendait se servir, lorsqu’elle le jugerait à propos. — Ou plutôt, ma chère fille, interrompis-je, elle ne vous traitait si mal, que pour vous rendre plus résignée à ses volontés. Elle pensait que la moindre bonté qu’elle vous marquerait ensuite, aurait à vos yeux le charme de la nouveauté ; que cela vous disposerait à faire tout ce qui lui plairait. — Je vois que vous la