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LA DERNIÈRE AVENTURE

ne m’avait pas encore montré toutes les délices qu’elle savait procurer. Les plus doux moments de ma vie ne furent peut-être pas chez moi dans ses bras, c’est au spectacle qu’elle me les donna. Le dimanche qui suivit son séjour à la maison, notre intimité était à son comble ; nous vivions presque absolument ensemble ; nous nous tutoyions ; nous n’avions rien de réservé l’un pour l’autre ; et ce qui redoublait en moi le sentiment de mon bonheur, c’était de me dire : Quelle félicité m’attendait à quarante-cinq ans !… En causant avec Sara, je lui témoignai combien j’aurais de plaisir à la mener au spectacle ! Nous primes, de concert avec sa mère, le mardi suivant. Mais le lendemain, ayant trouvé Sara joliment coiffée en chapeau à l’anglaise qui lui allait à ravir, je lui dis tout bas : quel dommage qu’une si jolie toilette soit perdue ! Allons à la Foire ? — Maman n’est pas habillée. — Je vais lui demander de nous permettre d’y aller ensemble ? » Quoiqu’une pareille demande fût contre les principes de la mère, j’étais encore si bien dans son esprit que j’osai la faire et qu’elle me fut accordée. Nous partîmes seuls. Sara et moi et nous rentrâmes chez Nicolet, dont elle désira de voir le spectacle. J’avais été autrefois aux Italiens, avec une certaine Virginie, et ç’avait été un supplice[1]. « Voyons, pensai-je, comma va se comporter ma jeune amie dans cette occasion ? si elle sera coquette, étourdie comme Virginie ? » Nous nous plaçâmes au parquet. Des jeunes gens nous environnaient. Tous admirèrent Sara, qui en effet était ravissante. Je l’observais. Elle ne jeta pas un coup d’œil sur eux, elle ne s’occupa que de moi. Je lui tenais la main, et comme elle avait une grande pelisse, elle me fit passer un bras

  1. Voyez cette aventure en forme de journal, dans la deuxième partie de la Malédiction paternelle.
    (R.)

    La Malédiction paternelle : Lettres sincères, véritables de N… (Nicolas Restif) à ses parents, ses amis, ses maîtresses ; avec les réponses : Recueillies et publiées par Timothée Joly, son exécuteur testamentaire. Imprimé à Leipsick, par Bûschel, marchand-libraire : et se trouve à Paris, chez la dame Ve Duchesne, en la rue Saint-Jacques, au Temple du Goût, 1780.

    Cet ouvrage, qui forme trois parties en trois volumes in-12, fut composé en 1778.