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LA DERNIÈRE AVENTURE

autour de sa taille, elle prit ma main dans la sienne et la pressait toutes les fois que le jeu lui faisait quelque plaisir. Je l’avouerai, mon cœur nageait dans la joie. Je me voyais aimé, chéri ; l’amour et l’amour-propre étaient également satisfaits et me causaient une égale ivresse. Glorieux d’être avec la plus jolie personne de la chambrée, j’avais encore la délicieuse idée que j’en étais préféré !… Oui, ce fut-là le plus grand, le plus complet des plaisirs que m’ait donnés Sara… Nous retournâmes le lendemain au même spectacle avec sa mère, et je fus presque aussi heureux. La vue seule de cette femme, que Sara me faisait détester, troubla un peu mes plaisirs. Mais j’en fus bien dédommagé au retour !… Nous arrivâmes à la porte de la grille, sans lumière. Valfleuri, à qui la mère avait prescrit de nous attendre, ne se présenta pas tout d’un coup, de sorte que nous montâmes dans l’obscurité. Sara voulut que je passasse devant et elle prit ma main. Au milieu de l’escalier, je sentis sur cette heureuse main, la bouche de rose de ma fille, de mon amante !… Non, il n’est pas de termes pour exprimer ce que j’éprouvai ! Ah ! comme dans ce moment je l’adorai !… Mon cœur s’élançait hors de moi-même pour aller à elle, ou plutôt j’aurais voulu qu’il s’ouvrit pour l’y recevoir !… « Fille adorée, lui dis-je tous bas, chaque jour tu augmentes mon bonheur et tu me découvres en toi des perfections nouvelles pour le rendre durable ! — Puissé-je, mon papa, être ce que tu dis ! » Elle ne me fit que cette courte réponse, parce que la lumière vint.

Nous soupâmes ensemble tête-à-tête, Sara et moi ; sa mère n’ayant pas d’appétit et se trouvant fatiguée, elle se retira dans sa chambre à coucher et se mit au lit. Quel souper délicieux ! avec un objet charmant, adoré, dont on se croit chéri à quarante-cinq ans !… Que ne puis-je retracer tous ces détails enchanteurs ! … Mais ils embraseraient l’imagination de mes jeunes lecteurs, que je ne veux qu’instruire… Tout ce qu’une fille tendre peut dire à l’amant qu’elle estime et qu’elle aime, Sara me le disait. Nous venions du spectacle, j’étais encore dans l’ivresse de l’admiration qu’avait excitée Sara, de son attention à moi seul, des