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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/180

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LA DERNIÈRE AVENTURE

Sara, la première fois que je manquai de les aller joindre au Luxembourg, monta chez moi avec précipitation, en rentrant, et paraissait fort inquiète. Je la rassurai par ma tendresse et par les marques de mon attachement. Je manquai une seconde et une troisième fois ; elle m’en fit des reproches et je conviens qu’ils étaient fondés, mais ce furent là mes seuls torts. Je fus touché de ce qu’elle me dit. « Vous m’abandonnez à des vues que vous n’ignorez pas !… Ah, mon père !… » Un autre jour qu’on la persécutait pour sortir, Sara, qui craignait que je ne voulusse pas l’accompagner, passa un billet sous ma porte :

Troisième Lettre

L’on veut absolument que ta femme sorte, cher bon ami ! je te laisse à penser comme elle va s’amuser ! Va, je voudrais bien qu’on vînt me délivrer de mon esclavage !… Mais il faut souffrir ce qu’on ne saurait empêcher… Tâche de guérir ton rhume et de te bien porter ; voilà tout ce que je désire. Cependant, si tu peux me trouver une place auprès d’une dame comme celle dont tu m’as parlé, ou seulement de l’ouvrage, je trouverai de la fermeté pour résister, et je vivrai satisfaite, comme on peut l’être dans ma position. Aime toujours,

Ton amie pour la vie.

Sara Lee.

Je tâchai de servir Mlle Lee à son goût, de trois manières ; je lui procurai des dentelles ; je fis son éloge à une dame de condition qui m’avait demandé une demoiselle de compagnie, et je l’engageai à se délasser les yeux et la main, en s’occupant de littérature. Elle y paraissait très portée. Mais j’étais un peu surpris qu’après un essai aussi heureux de sa part que la petite pièce qu’elle avait composée, elle ne fût pas plus empressée de faire usage de ses talents. Je pensai que le goût du travail à l’aiguille l’emportait, dans l’esprit d’une fille, qui me paraissait la plus raisonnable de toutes celles que j’avais connues. Elle remettait de jour en jour. Enfin, en ayant été deux fois sans la voir, un soir, après notre souper, et un de ces entretiens délicieux que je ne me rappelle qu’en soupirant, elle me montra sa petite bibliothèque, composée en grande partie des livres que je lui avais donnés. « Il y a quelque chose qui m’occupe, et que je