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LA DERNIÈRE AVENTURE

que je l’aurais du. Je comptais sur le cœur de Sara, sur la solidité de ses sentiments. Je m’informai des causes de son absence. Elle me dit que sa mère avait eu envie de la marier à un marchand de la rue Saint-Antoine, et que peut-être ce mariage se ferait. J’en fus satisfait intérieurement ; cet établissement honnête ôtait Sara du pouvoir de sa mère, et je me proposai de souffrir patiemment des peines inévitables, comme celles que j’avais déjà éprouvées lors de mon dévouement en faveur de M. de Blémont. Cette affaire manqua, parce qu’en effet la mère de Sara n’avait jamais songé à marier sa fille. Elle se faisait pauvre auprès dès hommes à marier ou à aimer, elle avait ses raisons.

Cependant cette femme ne perdait pas de vue sa vengeance, qui consistait à m’ôter sa fille, en la donnant au premier venu qui lui ferait des propositions supportables dans ses idées. Mais Sara éloignait par son air honnête, et quelquefois maussade, tous ceux qui osaient la fixer, lorsque sa marâtre la mettait à une sorte d’encan dans les promenades publiques. Il est certain que jusqu’à l’instant où Sara elle-même trouva enfin l’homme qu’elle m’a préféré, elle m’était solidement attachée ; ce qui le prouve, c’est que le 6 mai (elle fut infidèle dès le 12, et consomma sa trahison le 31), elle m’écrivit encore, ne m’ayant pas trouvé pour me dire adieu avant de partir pour aller à la revue du roi[1].

Cinquième Lettre

Ta femme va bien s’ennuyer, car elle est forcée de sortir. Nous sommes à la revue du roi. Tâche de t’amuser plus que ta fille, car elle

  1. La revue de la maison du roi, qui attirait tout Paris à Marly ou au Champ de Mars. « A la fin du règne de Louis XV, on abusa des parades ; on excéda le soldat pour qu’il y figurât avec honneur ; on tirait vanité des revues, qu’on faisait passer aux princes, qu’on donnait en spectacle aux dames pour les distraire ; sur le Champ de Mars de Paris, des soldats, cheveux poudrés, le roi de carreau pommadé formant une boucle de face, manœuvraient pour elles. » Albert Babeau, La Vie militaire sous l’ancien régime, t. I, p. 149, Paris, 1890.