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LA DERNIÈRE AVENTURE

le troisième quarante-cinquenaire avec lequel elle tenait la conduite que vous avez lue ! C’était de concert avec sa mère, qu’elle en agissait comme elle avait fait, qu’elle parlait mal d’elle pour captiver mieux un presque vieillard imbécile ! J’étais le troisième (sans compter l’avocat, l’homme du Palais-Royal, M. Legrainier, Delarbre, le fils du marchand Saint-Antoine et cent autres de passage, pendant la première jeunesse) ; j’étais le troisième, à qui cette perfide Sirène avait persuadé qu’elle n’aimait les hommes que dans l’âge mûr, à qui elle s’était fait adopter pour fille, à qui elle avait assuré qu’elle avait de l’amour, à qui elle avait juré un attachement éternel ; c’était vingt mille francs qu’elle voulait de ma part, comme des autres… Mais pourquoi change-t-elle, auparavant de les avoir vus comptés ? Pourquoi n’a-t-elle pas captivé le riche Dumont ?… Ha ! le voici ; M. Dumont lui parut trop rusé ; elle eut assez d’esprit pour voir qu’il était hors de ses atteintes, et elle s’en servit comme d’un moyen pour me captiver davantage. Quant à moi, il y eut ici de l’imprévu de la part de la mère, qui ne s’imaginait pas que sa fille allait devenir folle de Noiraud de Lamontette ; la fille elle-même se trouva prise par son goût, le premier qu’elle eut eu peut-être ; cet homme adroit s’empara d’elle, et il lui fut impossible de bien suivre son plan avec moi… Le voile est déchiré pour vous, lecteur, beaucoup plus tôt qu’il ne le fut pour moi ; suivez de pénibles aveux qui pourront peut-être quelque jour vous être utiles…

Après le départ de la mère, je m’aperçus qu’elle m’avait laissé la clef de l’appartement que je louais pour Sara ; cette femme rusée, qui connaissait bien la marche des passions, l’avait oubliée exprès. Je cherchai à charmer ma douleur, en voyant, en touchant ce qui appartenait à ma jeune amie. Je cherchai dans sa bibliothèque et j’y trouvai son Histoire, qu’elle avait commencé d’écrire à ma sollicitation. C’était de ce papier qu’elle avait voulu parler un soir, en me disant qu’il y avait là quelque chose qu’elle me montrerait, mais sans doute je ne l’aurais jamais eu d’elle… Ce fut avec avidité que je m’en emparai pour la lire.