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LA DERNIÈRE AVENTURE

HISTOIRE DE SARA ENFANT
ÉCRITE PAR ELLE-MEME

« Ma mère est d’Anvers[1]. Elle a été mariée deux fois, sans être veuve, et toutes les deux d’une manière également malheureuse. Elle avait une sœur aînée, des cadettes, et plusieurs frères. L’aînée encore plus capricieuse que la cadette, avait un amant qui la recherchait en mariage ; elle l’accueillait, le rebutait, suivant son caprice, et le tenait dans une incertitude continuelle. Enfin, le jour du mariage, elle se fâcha. Lambertina, la cadette, qui était aussi jolie que son aînée, et d’une gaîté folle, proposa d’aller à l’église au lieu de sa sœur. Le père, Jacobus Debée, qui descendait de ce fameux De Bie, qui, dit-on, a inventé les fausses médailles de Charlemagne, qu’il composa pour rendre plus célèbres les actions de ce héros, Jacobus Debée consentit à la proposition de sa seconde fille ; le marié fut du même avis, quoique Lambertina, n’eût que douze ans, et l’on alla épouser. Le prêtre ne sut rien de la substitution, parce que les deux sœurs portaient chacune deux noms, dont l’un était semblable. Le mariage fait, on allait commencer à se divertir, lorsque Lambertina-Sara, l’aînée, sut que Lambertina-Elisabetha, sa cadette, venait d’épouser son prétendu. Elle en fut au désespoir et fit demander un entretien au jeune homme. Il vint la trouver : elle ferma la porte sur eux, lui témoigna son repentir de tous ses caprices, et le toucha par ses larmes ; l’amour reprit ses droits sur l’amant, qui consomma le mariage avec sa première maîtresse. Il ouvrit aussitôt la porte à ceux qui frappaient, et il déclara ce qu’il venait de faire. Mon grand-père et ma grand’mère accoururent, et furent très surpris ! mais leur gendre offrant de reconnaître pour sa femme celle qu’il venait de traiter comme telle, et n’ayant pas touché à l’autre, on alla devant le grand-vicaire, qui donna permission de recélébrer le mariage avec l’aînée. Ma mère fut très fâchée de ce contretemps, l’amant de sa sœur lui ayant toujours plu ; mais elle n’attendit pas trop longtemps son tour : elle fut mariée, un an après, avec mon père, Antonius Leeman, parent du célèbre général américain Lee[2], à ce qu’il dit. Ainsi, je sortirais de deux familles également honorables.

« À l’âge de quatorze ans, ma mère eut un fils, qui est mort. À

  1. C’était une Anversaise (sic) qui avait été entretenue par le ministre Amelot, lorsqu’il était à Dijon. Monsieur Nicolas, t. III, p. 200.
  2. Charles Lee, né dans le pays de Galles et qui, venu en Amérique, en 1756, devint major général dans l’armée des Etats-Unis. Il a laissé des Mémoires, publiés en 1792.