Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
LA DERNIÈRE AVENTURE

à moi à juger sa conduite ; mais… est-il possible qu’on épouse une femme, et qu’on donne le jour à des enfants pour les laisser en proie aux horreurs que j’ai vues nous menacer et à celles que nous avons essuyées !… Il écrivit alors, non pour nous envoyer des secours, mais pour en demander à sa femme. On lui marqua notre situation et la mort de sa fille aînée. Il répondit tranquillement à ma mère au bout d’un mois, qu’il aurait préféré que ce fut la cadette, qu’il la priait de lui envoyer ce qu’elle pourrait, puisqu’elle avait moins de charge que par le passé. Cette réponse la révolta ; elle lui fit écrire qu’elle ne lui demanderait jamais rien ; qu’il songeât à lui-même, puisqu’il n’était né que pour lui et qu’elle allait tâcher de donner, par l’amitié, un autre père à sa fille ; qu’il n’avait plus aucuns droits sur sa femme ni sur son enfant : « Vous leur avez rendu la vie odieuse, et votre fille, malgré sa jeunesse, commence à sentir {elle me le disait un de ces jours) que la vie est à charge, quand on la passe dans l’abandon ou qu’on n’a des parents que pour faire rougir ; un père qui, loin de nous préserver des malheurs qui assiègent l’existence d’une épouse et d’une fille, parait au contraire trouver un plaisir barbare à les y plonger, et chercher en quelque sorte à jouir de leur déshonneur. Vous avez donné à votre fille de l’horreur pour les hommes ; quand elle en voit, elle s’enfuit, ou si on la force à rester, elle ne les regarde qu’avec effroi. Voilà l’effet de votre conduite. D’après cela, je crois que le mieux est que vous restiez où vous êtes ; car je doute, vu la sensibilité de ma fille, que je pusse l’élever, si vous étiez ici, et si je savais la perdre et n’avoir plus de consolation, je préférerais de mourir la première. Cependant, quel malheur pour une fille, et à quoi ne serait-elle pas exposée de votre part ! Dans quel dénuement vous la plongeriez ! » Ma mère finissait par lui donner son adresse, à un nouveau logement qu’elle prenait, et où nous allâmes demeurer. Je me rétablis un peu ; je grandissais. On me mit aux Miramionnes[1], et l’ami de ma mère étant

  1. Les filles de Sainte-Geneviève, appelées plus communément les Miramionnes parce que Mme de Miramion, veuve d’un conseiller au Parlement, avait achetée pour elles, en 1670, une maison sur le quai de la Tournelle, près de l’hôtel de Nesmond.
    « Les filles de Sainte-Geneviève ne font point de vœux ; elles se consacrent à l’instruction des jeunes filles et au soulagement des pauvres blessés ; elles font les saignées, préparent les onguents et les médicaments dont ils ont besoin et mettent un nouveau prix à ces secours gratuits, par le zèle et la charité avec lesquels elles se les procurent. On fait aussi dans cette communauté des retraites pour toutes sortes de personnes du sexe. Il y a cinquante chambres ou cellules. »
    Dictionnaire historique de la ville de Paris, par Hurtaut et Magny, Paris, 1779, t. III, p. 120.