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PROLOGUE

trop souvent oubliant leurs rides et la neige qui commence à couvrir leur tête chenue, se croient encore aimables, à l’aide de la toilette. Mon exemple les effraiera, j’espère. J’étais aussi sage qu’ils peuvent l’être ; j’avais de l’expérience autant qu’ils peuvent en avoir, et je me suis laissé prendre ! Vous verrez en lisant mon histoire, si je fus excusable. Je n’ai rien déguisé : en la composant, j’écrivais pour moi, j’écrivais malgré moi, pour charmer ma situation douloureuse ; mon papier était mon confident unique ; je me soulageais, pour le moment ; je ne conseille cependant ce moyen à personne ; je crois qu’il a prolongé ma passion et mes souffrances.

« Vous pouvez répondre de la vérité des faits que je vous communiquerai. Ma demeure est rue du Figuier[1] ; vous me ferez plaisir de me venir voir dans huit jours, que j’emploierai à revoir mon manuscrit et à déguiser les noms, que j’avais d’abord mis véritables. Je les effacerai de manière qu’ils ne puissent absolument se lire. J’exige ensuite que si vous trouvez mon histoire digne de paraître sous votre nom, vous me remettiez le manuscrit après l’impression, et avant la publication de l’ouvrage. »

Je ne manquai pas d’aller chez M. d’Aigremont, à l’adresse qu’il m’avait donnée.

« Vous allez voir, me dit-il, par ce récit, que je suis un honnête homme, mais non un homme vertueux : j’ai eu des faiblesses, et la dernière m’épouvante encore.

« J’ai toujours aimé les femmes : je n’en rougis pas ; c’est la plus noble des passions ; surtout lorsque la tendresse est la base de ce goût, beaucoup plus que le désir. Aimer, chérir, adorer, trouver, à faire le bonheur de l’objet que j’idolâtre,

  1. La rue du Figuier était située dans le quartier Saint-Paul. Elle allait de la rue des Prêtres-Saint-Paul au carrefour de l’hôtel de Sens.