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PROLOGUE

« une indicible volupté, lui rendre le bonheur qu’elle me procure, voilà comme je m’attache à une femme. Mais j’ai un défaut assez ordinaire ; je ne sens toute la force de mon attachement que par les privations, les contradictions, l’infidélité : et lorsque cette crise cruelle est arrivée, je suis si tourmenté, qu’il est vrai de dire, que pour moi l’amour fut toujours un malheur. Dans la jeunesse, on se console facilement d’une infidélité : on est aimable ; on est fort, on peut souffrir ; de nouveaux objets nous tentent, à qui l’on plaît, et dont on peut jouir ; tout se répare, tout s’oublie. Au lieu qu’à mon âge, lorsqu’on pense avoir trouvé un bien inattendu, aussi précieux que celui du cœur d’une femme aimable, la perte est complète et sans dédommagement.

— Oui, après quarante-cinq ans, j’ai cru être aimé, préféré ; je me suis cru l’arbitre du sort d’une grande fille de dix-neuf ans, belle, et qui me paraissait aussi tendre que généreuse : ce fut une cruelle erreur ! »

Il me lut son histoire, que je trouvai très intéressante : le ton de vérité m’en parut si frappant, que je ne doutai pas qu’elle ne fût vraie[1]. Le lecteur en va juger.

  1. Cet avantage, d’être un tableau vrai de ce qui fut, et non de ce qui peut ou de ce qui doit être, et que n’ont aucun des ouvrages modernes, aux Confessions près de J.-J. (la Dernière Aventure était écrite aux trois quarts avant qu’elles parussent), et dont on n’avait qu’un exemple auparavant dans Saint-Augustin, est un avantage sans prix. L’impression que fera le récit en sera plus profonde, la lecture plus intéressante, et l’effet presqu’immanquable.
    (R.)