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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/265

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

perdu le cœur ; elle réunissait toutes les perfections, la jeunesse, la beauté, la vertu, l’amitié, la tendresse, l’amour, la générosité ; c’était le chef-d’œuvre de la nature. Ha ! Que je l’aimais ! Hélas ! Je l’ai perdue pour jamais ! — C’est un être imaginaire que cette fille ? dit Sara. — Sara, ma chère Sara, elle avait votre taille, vos yeux, la couleur de vos cheveux, votre bouche, votre teint, votre sourire, votre son de voix, la tournure de votre esprit ; elle vous ressemblait parfaitement. — Vous me persuaderiez que c’était une autre moi-même ! — Non, car c’était vous, mais ce n’est plus vous ; je cherche ma Sara, dans Sara inconstante, et je ne la retrouve plus !… Ha ! Rends-moi la Sara d’il y a six mois ! Tu le peux ; elle est en ton pouvoir et je me trouverai le plus heureux des hommes ! » L’insensible Sara ne répondit à ce langage si tendre que par le geste de l’indifférence et de l’ennui. Je passe une foule de détails. Mon rival était reçu nuitamment par Sara chez l’accouchée ; la mère eut peur que je m’en aperçusse, et elle s’avisa un jour de la menacer devant moi, si elle la trouvait encore chez l’accouchée, lorsque le cocher son mari viendrait la voir. Je ne fus pas jaloux du cocher, quoique j’ignorasse le fond de la conduite de Sara. Aussi le mois de septembre fut-il assez tranquille, jusqu’au 28, qu’en me promenant sur l’Île Saint-Louis, il me prit des doutes violents au sujet de Lamontette. Je ne crois pas aux pressentiments et, cependant, c’en était un ; j’ai su depuis que ce même jour, on avait envoyé chez lui Florimond qui voulait obtenir un emploi. Le dimanche 30, on le vit aux Tuileries. On lui parla de l’emploi de Florimond, et il proposa de venir dîner chez lui le mardi suivant. Le soir, j’attendais Sara pour souper, elle ne vint qu’à dix heures. J’eus des soupçons sur une entrevue au Boulevard, ou à la petite maison de Lamontette : le lundi et le mardi, l’air enjoué de Sara les confirma.

Le second de ces deux jours, qui était le 2 octobre, je sortis vers les quatre à cinq heures, et j’allai au Boulevard. Je ne vis pas Mme et Mlle Debée au café où elles avaient coutume de s’étaler. Il me prit envie de rôder autour de la petite maison. Je n’y eus pas