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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/96

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LA DERNIÈRE AVENTURE

mien… La situation était trop délicieuse pour qu’elle m’ennuyât, mais enfin, je me sentis inondé des larmes de ma jeune amie. Surpris, effrayé, je l’enlevai dans mes bras : « Qu’as-tu, ma chère fille ? réponds à ton papa. — Une autre fois. — Ne serais-tu pas heureuse ? — Heureuse, moi ! — Ah ! je l’ai toujours présumé !… Fille si digne du bonheur ! Fille parfaite ! tu serais malheureuse !… Regrettais-tu ton amant ? — Ne m’en parlez pas, je le déteste. — Quelle est donc la cause nouvelle ?… — Nouvelle !… elle ne l’est pas… Vous connaissez ma mère ? — Oui, répondis-je précipitamment, et… mes sentiments pour vous deux sont absolument contraires : ici, toute mon estime, toute mon amitié, toute ma tendresse… ; là (désignant la mère), tous les sentiments opposés. » Nous n’en dîmes pas davantage à cette visite. Sara s’était oubliée auprès de moi ; elle se leva précipitamment. « Je serai grondée ! — Pourquoi ? elle consent à vos visites… — Vous ne savez pas tout !… Adieu. »

Le jour des Rois étant arrivé, l’envie d’amuser Sara me fit offrir une collation pour tirer le gâteau. Je me faisais une fête de donner ce petit régal à ma jeune amie, qui devait rester plusieurs jours à la maison, la fête tombant un samedi. En effet, cette soirée fut une des plus agréables de ma vie, sans en excepter les temps heureux de ma jeunesse, lorsque j’aimais et que j’avais droit de m’attendre à l’être. Nous étions quatre à table, Sara, sa mère, le pro-mari de celle-ci, nommé de Valfleuri, et moi. Il ne se trouva pas de fève, parce que probablement elle était tombée au pro-mari qui la fit disparaître. Il n’y a rien qui familiarise autant que de manger ainsi ensemble, et ce jour avança plus notre familiarité que nos entretiens pendant six semaines, qui s’étaient écoulées depuis la première visite de Sara. Nous dînâmes ensemble le lendemain. Sara vint m’inviter de la part de sa mère, et j’avais pris quelques précautions, ayant eu envie de m’inviter moi-même. L’entretien que nous eûmes, le matin de ce jour-là, fut encore plus confiant que celui de la veille ; Sara me parla avec une vérité intéressante, et mon cœur, sans que je m’en aperçusse, prenait toute la tendresse dont il était