Page:Restif de la Bretonne - Mes inscripcions, éd. Cottin, 1889.djvu/167

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pour changer ainsi une fille en trois jours !)
Je fus interdit. Cependant, je hasardai de tendres plaintes. Hâ dieu ! comme elles furent reçues !… Je n’en pouvais revenir… Cependant le charme agissait, et je fus heureus, la date le porte.
72. 3 jun. Post prandium, deambulatio ad hortum regium. (3 juin : je l’ai caressée ; j’ai vu mon rival ; il a dîné, et nous avons ensuite été nous promener au Jardin du Roi[1].) Cette journée fut cruelle ! Surtout à la promenade ! Sara n’eut des yeux que pour le mulâtre Lavalette. Le cœur me saignait. La mère s’en aperçut, et cette femme intéressée voulut me ménager, en ordonnant à sa fille de quitter le bras de mon rival.
73. 3 jun. Conduxi Saram apud Lavalette. (J’ai accompagné Sara et sa mère chés Lavalette), c’est-à-dire à une chambre qu’il louait à la Haute-borne[2], chés un jardinier. Il est des circonstances, dans la vie, où l’on souffre le double de ce qu’on devrait souffrir, par la gaucherie des démarches. Je dînai chés Lavalette avec Sara, mais auqu’un mets n’était bon ; je n’avais pas faim.
J’alai, durant le dîner, à une fenêtre de la galerie, où, me représentant la Sara, naguère mienne, qui se donnait, avec le mulâtre, des airs de nouvelle mariée, mes larmes coulèrent.

  1. Appelé Jardin des Plantes, depuis la Révolution.
  2. La Haute-Borne, promenade située à Ménilmontant, en haut de la rue de la Roulette, devenue ensuite rue de Ménilmontant, puis rue Oberkampf, à peu près à la hauteur du n° 105 actuel, à l’angle de la rue Saint-Maur. On y trouvait une guinguette assez fréquentée.