Ce latin avait, pour Restif, l’avantage de lui procurer, à trente ou quarante ans de distance, des sensations délicieuses. Il lui semblait éprouver encore les émotions qui lui avaient dicté ses notes. Il recommande aux lecteurs de puiser à cette source de satisfactions : « O mes jeunes amis ! Écrivez vos actions dans votre jeunesse ! En cherchant, dans mes cahiers, je tombe sur mes dates, du 1er Auguste à la fin de décembre 1754, et elles me reportent délicieusement au temps où je les écrivais. Je m’y retrouve, je m’y sens, et quarante années s’effacent ! C’est une délicieuse extase qui dure quelques minutes, mais qui abreuve l’âme plusieurs heures d’une ambroisie enivrante et féïque. »
Ailleurs : « Il me semble, aujourd’hui, que ces vers et ces notes, en les relisant dans le même cahier où je les inscrivis, me remettent dans la situation où j’étais alors ; la vivacité de mon imagination réalise cette ivresse de jeunesse et d’amour dont il est si délicieux de sentir l’illusion[1] ! »
L’émotion est si forte, quand il rapporte, dans Monsieur Nicolas, l’histoire de Madelon
- ↑ En parcourant le manuscrit des Souvenirs inédits de E. J. Delécluze, dont nous avons publié la partie intéressante dans la Revue rétrospective de 1888-89, nous avons été frappé par une petite anecdote remontant à son enfance, et qu’on croirait racontée par Restif : Un soir de 1788 ou 89, Delécluze, alors tout jeune, s’était attiré à table une réprimande de ses parents. Resté seul dans la salle à manger, il écrivit sur le bois de la table : Pauvre Etienne ! « Bien longtemps après, dit-il, j’ai retrouvé ces deux mots qui me remettoient aussitôt dans la même disposition d’esprit que celle où j’étois en les écrivant. » (T. Ier du ms., p. 99.)