Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/119

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L’endroit où je me déplusse moins dans mon exil, était l’école, à cause de la société des garçons de mon âge#1. Quoique je fusse très sauvage alors, il m’arrivait quelquefois d’aller m’amuser avec les jeunes Viard, dont l’un se destinait à être peintre ; avec les Boudard, neveux de la mère de mes sœurs du premier lit ; ces camarades me menèrent chez M. Collet, notaire et juge, ancien ami de mon père. Il y avait alors quatre à cinq belles filles dans cette maison, dont une, appelée de mon nom, Colette, me té-[1]

  1. Je périssais d’ennui chez Mme  Linard, sans doute à cause du caractère pointilleux de son mari : ses regards, l’attention minutieuse qu’il donnait à toutes mes actions, m’interdisaient au point que, devant lui, je ne mangeais pas ; je commençais à dépérir, faute de nourriture ; on fut obligé de me mettre à une petite table particulière. Je me souviens qu’on me donnait du veau, par une sorte de politesse ; or dans ce temps-là, j’abhorrais également les viandes non faites, les poireaux, le sucre, production étrangère, car j’aimais passionnément le miel, les salaisons marines, etc. Cette antipathie pour les oignons, les poireaux, me semble une preuve physique que je suis aborigène des Gaules, puisque je n’avais absolument de goûts primitifs, que ceux des productions indigènes de notre climat. Le singe est des pays chauds ; il aime naturellement l’oignon, il en dévore jusqu’aux feuilles : et moi, j’aimais l’ail, j’en mangeais jusqu’aux feuilles avec mon pain. Or on servait chez mon beau-frère de tout ce que je n’aimais pas, et je jetais aux animaux cette nourriture nauséabonde. Linard, étonné de ma répugnance pour de si bonnes choses, la voulut vaincre, et pensa me causer la mort. Doit-on forcer les enfants à manger de tout ? Non, c’est dénaturer les races, leur donner des maladies et des vices. On fut obligé de me rendre à mes parents, chez lesquels, en huit jours, je fus parfaitement remis de mon épuisement.