Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/137

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que pas de pain ici ; on le laisse moisir. » On se mettait à table, et la belle-mére servait des œufs, du fromage. La tante disait à sa nièce ; — « Mange donc, ma fille ! » Mais pendant qu’elle ne regardait pas, la belle-mère lui ôtait ce qu’elle avait sur son assiette, pour le donner à ses enfants du second lit, qui étaient autour de la table. La belle-fille se levait, sans avoir rien mangé ; elle ramassait à l’écart un morceau de pain moisi qu’elle dévorait. — « Qu’est-ce que tu manges donc là, mon enfant ? » disait la tante. — « C’est quelque chatterie quelle m’a volée ! » disait vite la belle-mère ; « car elle est friande, et je la gâte un peu. » Mais la tante avait tout vu, sans en faire semblant, et elle éclatait en prenant à sa nièce le morceau de pain moisi, qu’elle montrait au père qui entrait. Elle lui débitait ensuite en pleurant la kyrielle qu’on lui avait dite à l’arrivée. Le père battait la belle-mère et donnait la belle-fille à la tante qui l’emmenait et qui la gardait chez elle. En s’en allant, elle disait aux deux rangées qui étaient sur son passage tout ce qu’elle allait lui donner : — « Je la nourrirai de pain blanc, d’œufs frais et de fromage à la crème. Je la vêtirai de toile fine et de siamoise rayée ; ses jupons de dessous seront de molleton ; celui de dessus de coton fin à fleurs brodées ; ses corsets de basin ; ses bas de laine blanche à coins rouges ; ses souliers auront de hauts talons, et ses cornettes seront de mousseline à dentelle bien plissée. » Le but de ce jeu était d’éloigner du remariage les veufs qui avaient de grands enfants.