Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/165

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dans les vignes de Sautloup il avait aperçu des grives sur les arbres, et il en avait tué quatorze. Il fit du feu ; nous plumâmes les oiseaux ; il les enveloppa dans des feuilles de vignes, creusa, dans les pierres du merger, un trou sur lequel nous fîmes un grand feu : les pierres échauffées les cuisirent si à propos, que jamais je n’ai rien mangé d’aussi bon. Nous en avions chacun deux. Mon eau rougie servit de vin, et les filles ne burent pas. Nous mangions avec cet appétit vorace que donne l’air vif de ces collines. Les filles faisaient les ménagères, comme si elles eussent été nos femmes : Jacquot avait Fanchon ; Étienne, Madeleine, parce que Marie Fouard s’était donnée à moi, pour être reine du vallon, etc. Jacquot et son amie, qui étaient nos aînés de plus de six ans, regardaient en souriant nos petites amours, et la jalousie d’Étienne, qui aurait voulu avoir Marie. — « Ah ! » dit le pèlerin de Saint-Michel, « que ne sommes-nous tous ici hommes et femmes ! car moi, je vou’aimerais ben, Fanchon ! et Étienne, lui, aimerait ben Marie ! Ign y a qu’Monsieur Nicolas ; son père ne l’vourait jamais marier au village ; car il a dit comme ça in jour : J’mettrai mon fils Nicolas à la ville ; car il apprend ben, et j’crais qu’il ara de l’esprit. » (On voit que le voyage de Saint-Michel avait un peu formé le langage de Jacquot.) Et moi, je m’écriai : — « J’vourais aussi avoir ici ma femme, si c’était Marie, un jour ! — Oh ! » dit Étienne, « si tu l’as, mon camarade, j’m’en r’consolerai ; car tu vaux mieux