Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la femme, fut si enchanté de la voir, qu’il nous fit pousser jusqu’en Sauloup, où nous trouvâmes les vignes non grappillées, et si abondantes, que nous craignîmes d’abord qu’on n’eût pas vendangé. Tout le monde chargea de fruits ses gros animaux, et nous retournâmes dans mon vallon, ramasser les poires de miel. Et telle fut la déférence de toute la troupe, qui me croyait réellement propriétaire, en vertu de ma pyramide et de mon autel, de tout ce qui n’était pas cultivé, qu’on me demanda sérieusement, en me traitant de Monsieur Nicolas, la permission d’y prendre les biens qu’y prodigue la nature agreste. Je l’accordai gravement ; car je crois que j’étais persuadé de mon droit. C’est que j’avais fait la découverte ; et telle fut sans doute l’origine de la propriété… Quand chacun eut fait sa petite récolte, nous goûtâmes. Ce fut un repas délicieux ! dans un endroit paisible, loin du monde et de la contrainte… On étala ses provisions : elles étaient frugales : trois œufs durcis, du fromage séché fort dur, et du pain de seigle. Jacquot et moi, nous avions de la vieille brebis en bœuf-à-la-mode, du fromage durci et un pain salé pétri avec du babeurre[1], que les paysans aiment beaucoup. Mais voici le meilleur. Jacquot tirait des pierres avec autant d’adresse que les anciens Baléares ; en grappillant

  1. Lait de beurre, ou petit lait qui reste après que la partie grasse du lait est convertie en beurre. Restif écrit batbeurre. (N. de l’Éd.)