Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/170

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j’avais déjà trouvé ça, depuis si peu de temps que je lisais le Français ? — « Nulle part : c’est de ma tête. » Et ce fut depuis cette preuve physique (selon moi) de la grandeur de Dieu, que ma réputation de grand esprit commença de se répandre, non seulement à Sacy, mais dans les endroits circonvoisins, par le moyen des paysans des environs, qui venaient tous les dimanches soumettre leurs petits différends à l’arbitrage de mon père : car Edme Restif, simple lieutenant de bailli d’une petite Justice, était devenu par sa probité, l’excellente réputation dont il jouissait, le juge de paix de tout le canton, à six ou sept lieues à la ronde, excepté Vermenton et Joux, habités par des espèces de bourgeois, qui avaient des avocats, et qui d’ailleurs regardaient le bon sens comme insuffisant pour la décision de leurs grandes affaires ; et je crois qu’ils avaient raison… Mes frères du premier lit et leurs sœurs, ainsi que mes parents eux-mêmes, étaient surpris de la réputation de science dont je jouissais, avant que de savoir lire le Français. J’apprenais facilement ; mais commencer à lire sa langue maternelle à prés de onze ans, ce n’était pas être précoce. J’avais eu le secret de m’emparer de la Bible : je dévorais ce livre, à l’aide de mon excellente mémoire, qui me rendait intelligible tout ce qu’avait lu et commenté mon père. À la fin de ma première bergerie, j’avais lu la Gerèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome, les Juges, le Livre de Ruth, les Rois, et les Paralipomènes. J’allais ensuite auprès des batteurs