Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/223

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et parce que j’y ai vécu avec mon honorable père. Je ne vais pas une fois à Nitry, et j’y vais souvent, puisque j’y possède actuellement cent journaux de terres, que je n’y paye à mon père, avec autant d’amertume que le jour où je le perdis, le tribut de larmes que je lui dois… Ce fut une grande perte pour moi, à l’âge de vingt ans que j’avais alors, de perdre un père qui n’en avait que quarante, et qui était sur le point de regagner plus qu’il n’avait perdu, par une excellente affaire avec les moines de Molême, affaire qui manqua par sa mort !… Je le pleure tous les jours, et s’il m’a été très rude, comme je vous l’ai maintes fois conté à tous, le soir à nos veillées, non pour me plaindre de ce digne homme, que j’honore et chéris mort, comme je l’ai aimé, respecté, chéri vivant, malgré sa rudeur. Et il ne faut pas croire que mon père, quand il me menait en campagne avec lui, me parlât et conversât ! je marchais derriére, et je n’osais faire une question, ni dire un mot. Au lieu que moi, je te parle, et je vous parle à tous : non que je m’estime meilleur que mon digne père ! Tant s’en faut ! que c’est parce que je me trouve moins valant, que je ne me crois pas autorisé à en agir comme lui, qui était d’un si grand esprit et d’un si grand mérite, qu’un chacun l’admirait. Et je suis encore plus éloigné de croire ma manière de vous élever meilleure que la sienne ; mais je n’ai pas sa fermeté, ni les autres qualités qui secondaient en lui sa noble sévérité :