Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dîner du samedi, et il terminait ainsi les travaux de la semaine ; mais en été, je partais le dimanche à deux heures du matin… En sortant de Courgis, à l’orient duquel est Saint-Cyr, je voyais l’aurore ouvrir avec ses doigts de roses les portes du jour. J’avais le temps de traverser un profond, mais étroit vallon, dans lequel le père de Jeannette avait des peupliers arrosés par le ruisseau de la fontaine froide. J’aimais passionnément les grands arbres ; ceux-ci étaient à Jeannette, je les saluais ; ils me pénétraient de son idée, et je remontais l’autre colline plus escarpée, l’âme pleine d’une douce mélancolie. Je respirais plus facilement à mesure que je montais ; je me dégageais de la matière, et parvenu au sommet, à cet instant de ravissement le plus beau du jour, où toute la nature qui s’éveille sourit à son auteur et semble, pour s’exprimer, emprunter le chant des oiseaux, je le voyais, ivre d’amour, de jeunesse et d’espérance, je le voyais, encore, également coupé par l’horizon, m’offrir la moitié de son disque lumineux ! Ému, palpitant, je tombais à genoux, frappé de trop de sensations à la fois ; et je m’écriais : Unam petii a Domino, et hanc requiram omnibus diebus vitæ meæ !… » Ô Soleil ! que tu es beau ! Œil de Dieu ! que tu es beau !… Et je restais immobile quelques instants, puis je me relevais en sautant d’allégresse : « Ah ! si Jeannette était là ! j’y verrais tout ce qu’il y a de plus beau dans la nature !… » Le délicieux moment ! il faut être jeune et amoureux pour sentir tout le charme d’un beau lever de