Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épandre le fumier. Un des loups, celui qui m’avait assiégé, avait adroitement donné le change à Friquette, en passant devant l’autre loup, sur lequel la chienne s’était jetée, et il était revenu, voyant les chiens s’éloigner. Mais, contre son attente, il trouva mon père, qui le tira si heureusement, qu’il lui cassa une patte. Le vieux loup voulut fuir alors ; mais il fut rencontré par les deux mâtins qui s’en revenaient, et qui le retinrent assez pour donner à mon père et aux garçons de charrue le temps de le joindre ; ils l’assommèrent. Mon père le jugea anthropophage ou prêt à le devenir. Il fit observer la sagacité de ce loup gris, qui avait exposé le jeune loup en l’envoyant à l’assaut, tandis qu’il se tenait à l’écart. Ce qu’il y a de vrai, c’est que le jeune loup était un imprudent d’attaquer un cochon ; s’il avait pris un agneau, je ne m’en serais pas aperçu, et j’aurais perdu, pour la première fois, une de mes ovailles. Je ne dois pas omettre la scène qui se passa lorsque la mère-truie eût délivré son petit : tout le troupeau de cochons, composé alors de trois ventrées complètes moins un, c’est-à-dire de trente-trois, se mit en rond autour du blessé, les plus jeunes en dedans, les plus gros en dehors, et ils se mirent à répondre à ses plaintes par un grognement si semblable à une conversation, que j’en fus frappé ! Je ne doutai pas alors qu’ils ne le consolassent. La mère était en dehors du cercle, le poil hérissé d’une manière horrible, et poussant de temps en temps une sorte de soupir qui avait quelque chose d’ef-