Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/43

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jamais de monarque, de favori de la Fortune, qui ait eu plus de jouissances que moi. Si, au contraire, on fait attention à mes privations, à mes peines, qui fut jamais plus à plaindre ! Haï, méprisé, persécuté, trahi, condamné par la pauvreté au travail le plus rude et le plus continuel, abreuvé d’opprobres, mis au-dessous de ceux qui ne me valaient pas, malheureux par les femmes sous tous les rapports, réduit longtemps à manquer du nécessaire, tremblant pour ma liberté, craignant pour ma vie, tenté par l’affreuse idée du suicide, ne trouvant de la joie, ou plutôt de la consolation, que dans la vue d’une destruction prochaine, voilà quel a été mon sort : cet horrible tableau n’est pas exagéré.

Si, jetant les yeux sur mes qualités, on en fait l’énumération, l’on trouvera que j’ai toujours été frugal, laborieux, économe, compatissant à l’excès ; que je n’ai été ni joueur, ni buveur, ni gourmand : modeste sur mon compte, je rougissais d’être estimé ; depuis, j’ai souvent été le censeur le plus rigide de mes Ouvrages, et quelquefois le plus éclairé ; souvent, j’ai diminué mon salaire, en disant : Je n’ai pas tant mérité.

Mais, d’un autre côté, j’ai été emporté, brutal, furieux ; d’un caractère impatient au joug, dur, impérieux, sacrifiant tout au penchant frénétique pour les femmes, me livrant, pour le satisfaire,