Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gâté par quelques succès, qui m’avaient attiré des cajoleries, je me crus un personnage… Cette erreur ne dura que six mois. Revenu dans mon bon sens, je tirai du moins cet avantage de ma folie passagère, qu’elle me donna l’idée d’une production aussi vaste, qu’utile et philosophique, dont le sujet ne pouvait être que moi-même. Dans le projet que je conçus, de dévoiler les ressorts du Cœur humain, comment assigner, au juste, les motifs qui auraient fait agir tout autre que moi ? À tout moment, j’aurais pu me tromper ! et ne pouvant jamais être sûr de ce que j’aurais conjecturé, comment aurais-je mérité la confiance d’autrui ? Mais, en écrivant ce que j’ai fait ; en rendant compte de ce que j’ai senti ; en scrutant sévèrement mes motifs ; en me disséquant moi-même pour ainsi dire, possible parviendrai-je, par cette anatomie douloureuse, à donner à ma nation le plus utile des livres, à éclairer mon siècle, à profiter à la postérité, qui peut-être n’aura pas un homme aussi courageusement vrai, car je vis dans un âge fécond en hommes et en événements extraordinaires, qui tiennent ma tête exaltée. J’ai, de plus, une vie très remplie de traits ordinaires et communs, où chacun peut se retrouver ; des faits extraordinaires, étranges, propres à soutenir la curiosité par l’étonnement et la surprise.