Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/68

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main, du premier instant où on me laissa seul, pour suivre le même chemin ; et j’allais, j’allais… Une femme du village, la bonne Claudine Sirop, me rencontra sous la Côte-des-Prés, tout prés du Moulinot : voyant sur le chemin, seul, un enfant qui marchait à peine, elle présuma que quelqu’une de mes sœurs était dans nos vignes. Elle les appella. Mais personne ne lui répondant, elle vint à moi, en me disant : — « Hé ! où allez-vous donc, Monsieur Nicolas ? — Je m’en vas voir ma sœur Anne, à Vermenton, chez son mari qui l’embrasse. — Tout seul, mon bel ami ? — Oui. — Revenez avec moi, mon poulet ; les charrettes vous écraseraient ! » Elle, me prit la main, pour me remmener. Je résistai, en criant : — « Menez-moi à Vermenton ! » Mais il fallut céder à une main plus forte que la mienne. La mère Sirop me porta ; je lui dis des injures, et je méditai de l’accuser à mes parents de m’avoir battu. Arrivée chez nous, elle conta le fait. On la remercia fort ! Pour moi, je l’appelais la vilaine femme ! et j’intentai mon accusation. (Déjà ce degré de perversité ! cette vengeance réfléchie ! Heureusement, une autre passion a depuis étouffé celle-là !) — « Quoi ! mon petit ami, je vous ai battu ? » Je fus bien puni ! tout le monde m’appela menteur… Je louchais, n’osant regarder en face l’accusée, pleurant, affectant de faire l’enfant gâté, qui dit qu’on l’a battu, quand on l’a contrarié… Ce trait, par la prudence de mes parents, me dégoûta de calomnier.