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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/179

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Au défaut de jouissances matérielles vivement appelées, mon imagination se rassasiait d’idéales, qui lui causèrent enfin une sorte d’épuisement. Mon poème fut achevé en Juin ou Juillet 1749, au milieu de ma quinzième année[1].

J’avais vu, dans Montreuil, qu’on mettait quelquefois un Envoi aux ouvrages de poésie : le mien fut adressé « à Mlle Jeannette Rousseau. » Mais je touchais à un fatal dénouement !

L’exactitude avec laquelle je profitais de tous mes

  1. Il ne m’est guère possible de donner une idée de ma poésie d’alors : il ne m’est pas resté dans la mémoire un seul vers de mon poème. Mais j’en trouve un autre, dans mon Tertius Codex, qui pourra faire connaître ma manière d’alors. On le trouvera dans l’année 1753, sous le titre du Séjour des Charmes. Je trouve, dans mon cahier, la note que voici : « Je composai en 1749, à Courgis, un poème pareillement intitulé : Le Séjour des Grâces ou des Charmes, qui fut malheureusement trouvé dans ma doublure, par l’abbé Thomas, qui le porta au curé de Courgis, notre aîné. Ce dernier, qui était mon parrain, trouva le poème si criminel, les vers qui le composaient étaient d’une si grande obscénité, qu’il ne crut pas devoir suivre la route ordinaire pour me reprendre. Il porta, dit-on, ces vers avec horreur devant l’autel de son église, et s’excusa auprès de Dieu, disant qu’il n’avait rien fait qui pût me donner l’idée d’une pareille infamie… Il les déposa ensuite dans la sacristie ; on assure qu’il les y conserve comme une arme contre moi. Mais de quoi lui servirat-elle ? Caylus vient de mourir… Je fais, au bout de cinq ans (1753) un autre poème du même genre, mais plus décent. » J’ai su depuis, qu’après la catastrophe d’Huet et Melin, le curé ne garda plus mes vers que pour s’humilier, et qu’enfin il les brûla. Hélas ! ils auraient dû l’être avant de les montrer à mon père : est-on coupable dans le délire et la fièvre ? À la suite de cette note, et en marge des vers, était une apostille, qui trouvera sa place au 5 Nov. 1753.